TÉMOIGNAGE - Alexandre, le regard de l'écrivain et du philosophe sur sa paternité

Alexandre Lacroix est auteur et également père de cinq enfants. Il nous raconte avec un éclairage philosophique sa paternité, la raison pour laquelle il a voulu avoir des enfants, les différences entre la première et la dernière naissance à dix-sept ans d'intervalle et le quotidien des premiers mois.

Je propose d'avoir une autre attitude par rapport à la norme de la maternité, de la naissance à venir, c'est une attitude nietzschéenne. Une attitude anti utilitariste pour le coup qui consiste à aimer le destin, aimer la vie telle qu'elle se présente. C'est l'amor fati, l'amour du destin avec sa dimension tragique, avec sa part d'ombre et donc de se dire que c'est l'occasion de se réconcilier avec le destin, avec des rythmes qui sont des rythmes de la nature. La grossesse c'est neuf mois, c'est un rythme assez lent et on ne contrôle rien.

Il avait une préférence pour un garçon pour son premier enfant, pour recréer une relation père-fils qu'il avait perdue.

Pour le premier enfant je tenais beaucoup à ce que ce soit un garçon pour une raison assez simple, j'ai perdu mon père jeune, à 11 ans, et j'avais envie de retrouver la relation père fils. C'est une relation qui m'a manqué,  le deuil a été absolument central dans ma vie d'adolescent et de jeune homme. J'avais envie de retrouver  la beauté de la relation père fils qui m'avait été enlevée.

Il nous parle de la beauté de redevenir enfant en même temps que son bébé, de redécouvrir le monde à travers leurs yeux.

Les enfants ont la capacité extraordinaire de vous rendre le monde une deuxième fois. Il vous montrent quand ils sont petits les pigeons dans la rue que vous vous ne voyez plus, les avions dans le ciel, leur regard s'illumine de ces merveilles, d'une fleur, d'une mouette à la plage, et tout d'un coup pour vous la fleur, la mouette, l'avion dans le ciel qui n'existait plus se met à exister de nouveau. Vous êtes décentré, vous réapprenez à voir le monde à travers leur regard.

Sur la paternité et la littérature :

De cette expérience qui a été absolument centrale pour moi, j'ai tiré un livre, qui s'appelle La naissance d'un père. C'est un roman autobiographique qui retrace la naissance et l'éducation de mes cinq enfants. Ça m'a beaucoup intéressé du point de vue littéraire. Il ya des choses qui sont considérées comme indignes d'être mise dans les livres, les écrivains n'y vont pas. Hemingway a eu des enfants, Albert Camus a eu des enfants, mais on peut imaginer qu'ils ont rarement changé les langes à cette époque. J'ai trouvé ça très excitant d'écrire un livre en ouvrant une zone de silence, en étant un peu comme un explorateur ! Je me suis amusé,  je me décris très précisément en train de changer une couche sur deux pages, c'est un peu un exercice à la Francis Ponge qui essaye de décrire le cageot.

Papa de 5 enfants dans une famille recomposée, il aborde le bon et le moins bons dans les relations de famille.

Je pense que l'ampleur du phénomène sociologique de la famille recomposée à partir des années 80 a voulu en peindre une version un peu trop rose. Tout ce qui touche à l'affiliation, aux jalousies entre frères et soeurs, au rapport entre le parent qui n'est pas le parent, est en fait assez complexe et finalement convoque des sentiments si profonds et si archaïques qu'on en a pas du tout la maîtrise. Moi j'explore un petit peu ça, je pense qu'il vaut mieux partir en se disant que ça ne marchera pas et après être heureux de tout ce qui se passe bien.

Retrouvez l'épisode ici (durée 43 min):